Mardi après-midi. Juste après la belle et granitique église Notre-Dame Izel-Vor de la Forêt Fouesnant, j’enquille la rue du port qui me conduit en serpentant doucement jusqu’au bord de l’eau. La marée est haute, le fond de la baie est plein, et frisotte sous l’effet du vent de mer. Une aigrette garzette plonge son bec sous la surface avec persévérance. Je laisse un grand hangar vert à ma gauche et emprunte le chemin direction Port-la-Forêt. Je sais, vous allez me dire qu’il y a plus court, que d’un coup de voiture on peut aller s’y garer directement, mais sincèrement, n’est-ce pas plus joli par-là ?
Le chemin est bordé d’ajoncs en fleur. Je m’arrête pour en saisir le subtil parfum. Une senteur de sucre et de fruits gorgés de soleil. Pour moi l’odeur de la Bretagne. Celle que je cherche avec avidité à chaque promenade. Je passe le petit pont sous lequel la mer entre et sort avec force de la ria au rythme des marées. Quelques vieilles annexes en bois dorment non loin de la rive, attendant un pêcheur qui ne viendra pas.
Allez, on avance un peu. Regardez, voilà les premiers pontons ! Le paysage s’ouvre sur une multitude de mâts serrés les uns contre les autres, tintant au gré du vent, disputant la charge de l’animation sonore aux goélands. Port-la-forêt ! Haut lieu de la course au large. Pas un Vendée Globe, pas une Route du rhum, pas une solitaire du Figaro, une transat Jacques Vabre ou AG2R sans qu’au moins un, et souvent bien plus, marin d’ici ne figure au palmarès.
Je descends à ras de l’eau. Initiatives Cœur, le nouveau bateau de Samantha Davis, est amarré là. Je me tords le cou en arrière pour voir le haut du mât. 29 mètres. Immense ! Tout est rutilant. Blanc et rouge. Les cordages sont joliment enroulés. Le pont semble venir d’être lavé. Même les pare battages paraissent immaculés.
Vite, vite, venez par-là ! C’est MACIF ! Le trimaran de François Gabart ! Recordman du tour du monde à la voile en solitaire. Coiffé au poteau par Francis Joyon à la dernière Route du rhum. Mythique… Et là, c’est quoi ce bateau-là ? Plus petit. Un Class40. Serenis Consulting. Je m’approche de la cabine et découvre le nom du skipper : Jean Galfione. Je pense à ce grand perchiste couvert d’or olympique. Reconversion. Il a travaillé dur pour suivre son nouveau rêve. Alors je pose la main à plat sur la coque douce et tiède et je ferme les yeux. Je sens le vent du large. Les creux sont énormes. L’adrénaline coule dans mes veines. Je tourne le winch à toute allure. La pluie et les embruns me piquent les yeux, m’empêchant de bien voir la voile se gonfler. Je sens le bateau vibrer. Je ne fais qu’un avec lui. Ensemble on ira au bout. Je suis le roi du mooooonde…
Euh, oui, bon, venez, on continue. On quitte le pôle course au large et on remonte sur le quai. Les pontons s’alignent. Pas une place vide. Ici, un plaisancier astique son pont. Là, un autre colmate une brèche. Là encore un autre amène des vivres pour le prochain voyage. Quelques heures ou plusieurs jours, dans les eaux bretonnes ou loin dans l’Atlantique, chacun promène ses rêves le long des quais de la marina.
Nous voici sur l’aire de carénage. Les deux élévateurs à bateaux sont là, avec leurs gros pneus de tracteurs et leurs sangles semblant prêtes à soulever une baleine. Le plus proche bouge lentement, comme un gros éléphant dolent. Attention à ne pas gêner ses mouvements. Ça sent la graisse et l’antifouling. Je déambule entre les jambes des bers qui supportent vaillamment voiliers, bateaux à moteur et même un vieux gréement. Vous le reconnaissez ? Il est tout blanc. C’est le Popoff. L’été, il promène les touristes autour de l’archipel des Glénan (sans « s », hein, c’est comme ça, et n’allez pas me demander pourquoi). Un peu plus loin, ce sont les locaux de CDK Technologies. Le chantier naval créé par Hubert Desjoyeaux. Le frère de Michel, qui lui a posé à quelques mètres de là son écurie « Mer agitée ». Tant de bateaux mythiques sont sortis de là ! Je jette un œil entre les grilles. Un mât aile immense est échoué sur le sol asphalté. Au détour d’un hangar, j’aperçois le bout d’un flotteur orange et noir de PRB. Et j’entends dans l’air plein de rêves de record et de victoire vibrer.
Nous voici à la cale sud. Elle ferme le port. Envie de continuer un peu la balade ? Venez par-là, on va longer la plage. Encore des bateaux par ici, posés sur le sable. Plus petits. Ceux de l’école de voile. Hobie Cat 16, Dart, laser, 470. Même un 420. J’en reconnais chaque courbe et chaque taquet. Je sens encore l’écoute se tendre dans mes mains salées. Le bruit du foc qui claque au moment d’empanner. La morsure de la mer après avoir dessalé. Le sable est fin, parsemé de coquillages. Ça vous dit d’aller au bout de la jetée ?
Pas facile d’avancer sur les grosses pierres entassées. Ça y est, on est au bout. Vous voyez, en face, la pointe de Cap Coz ? Avec ses cyprès et sa rangée d’annexes colorées. Bientôt le soleil va se coucher, teintant le ciel de mille nuances orangées. Les derniers bateaux se dépêchent de rentrer. Les voiliers tirent des bords puis soudain, comme répondant à un signal connu seulement des initiés, affalent les voilent et démarrent le moteur qu’on entend alors ronfler. À l’arrière de certains bateaux de plaisance, les marins d’un jour ramassent les verres vides et dispersent les miettes d’un apéro qu’ils auraient bien fait durer. Le pêcheur solitaire enroule sa ligne et compte les prises de la journée. Je regarde la longue plage de Kerléven et vois au loin les lumières de Concarneau s’allumer. Ce sera pour une autre fois, maintenant, c’est l’heure de rentrer. Vous venez ?
© Copyright Isabelle Roche – 2019 – Tous droits réservés
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Where there is a will, there is a way.