Le Faouët. Je me gare devant l’hôtel de la Croix d’or avec son enseigne dorée écrite dans cette police Walt Disney qui amuse tant les enfants. Je prends un instant pour admirer les halles à la charpente majestueuse qui sont au cœur de la vie de la commune depuis un demi-millénaire. Je me souviens des foires d’antan, quand il y avait tant d’étals qu’ils débordaient sur la place alentour, aujourd’hui devenue parking. On y venait en car, on restait la journée, c’était pour moi l’évènement de l’été.

Un coup d’œil à la façade de granit, égayée par les encadrements roses des fenêtres, de la crêperie « La Sarrasine ». Pour moi les meilleures crêpes (ou galettes, comme vous voulez) du monde, celles de mon enfance, que je mange encore avec les doigts pour mieux sentir couler le beurre chaud qui en ramollit les coins. Je resserre mes lacets et ajuste mon sac à dos. C’est parti, direction Sainte-Barbe ! Bon, vous pouvez y aller en voiture si vous voulez, mais c’est tellement plus sympathique à pied !

Rapidement, la rue devient chemin. Il descend un peu pour passer sous la route qui relie Lorient à Morlaix, puis remonte en sinuant entre les arbres moussus. Çà et là des pavés sont encore imbriqués les uns dans les autres. Normal, il paraît que c’est une ancienne voie romaine. À ma droite, le musée de l’abeille vivante et la cité des fourmis. Un chouette endroit. Je me souviens de l’émerveillement des enfants quand ils sortaient la tête dans les dômes de verre situés au milieu des fourmilières géantes. Des longues minutes passées devant les ruches à débusquer la reine des abeilles. Arrêtez-vous-y, ça vaut le coup. Moi je connais, je continue.

Après une côte longue et un peu raide, le chemin s’adoucit et devient moelleux sous les pieds. Il court entre les fougères, les ajoncs, et les bruyères. Je m’arrête un instant pour respirer le parfum des fleurs d’ajoncs. Vous voulez sentir ? C’est doux et sucré. Attention à ne pas vous piquer le nez ! Une clairière s’ouvre devant moi. Ça y est, nous y voilà !

La première chose que je vois, c’est cette construction carrée, un toit d’ardoise sur quatre piliers de granit, qui abrite une grosse cloche. Et la corde qui pend pour pouvoir la sonner. Je me souviens de ces longs moments passés à la tirer. Trop fort, on décolle avec la corde. Pas assez, la cloche ne veut pas tinter. Le jeu, c’était que le battant touche les deux côtés. Allez, au boulot ! On tire, on lâche, on tire, on lâche…

Je me poste ensuite en haut d’un grand escalier, de granit lui aussi. Tout est granit ici. Granit recouvert de lichen. Granit dont les jointures laissent passer la mousse. Face à moi, la chapelle Saint Michel, tout petit bâtiment carré perché sur un éperon rocheux. Autour on voit encore quelques anneaux fixés dans les murs. C’est qu’il y a bien longtemps, les jeunes gens prouvaient leur bravoure en faisant le tour de la chapelle accrochés à ces anneaux. Gare à la chute !

Je m’arrête alors sur un palier du grand escalier et contemple la merveille qu’est la grande chapelle, accrochée à flanc de colline. Des centaines d’années qu’elle défie ainsi les lois de la gravité. Depuis qu’un jour de 1480 et des brouettes, un gentilhomme a été miraculeusement sauvé de l’éboulement d’un rocher provoqué par la foudre. Il fit alors vœu de construire sur le lieu même de sa mésaventure une chapelle, dédiée bien entendu à Sainte-Barbe qui comme tout le monde le sait (ah non ?) protège de la foudre. C’est pas pour rien qu’elle est la sainte patronne des pompiers.

Je descends lentement les marches tout en regardant les détails de la façade. J’adresse un clin d’œil à la petite statue de la sainte nichée dans une ouverture du clocher. Puis je remonte quelques marches de l’autre côté pour faire un signe à la Sainte Vierge bien à l’abri sous son rocher.

Bon, vous seriez un touriste pressé, vous vous arrêteriez là et iriez boire un coup au café, puisqu’il est ouvert en été. Mais ce serait dommage. Venez, j’ai quelque chose à vous montrer. Par là. On prend le chemin, direction la fontaine. On retrouve encore quelques pavés bien rangés. Le sous-bois est assez dense, il y fait bon. Je me penche un instant pour regarder ces amas de mousse vert foncé. Je n’en vois nulle part ailleurs, de la comme ça. On dirait des mini-sapins veloutés. Je pose délicatement la main à la surface du coussinet moelleux et respire à pleins poumons l’odeur de la forêt. Je contourne ce gros rocher qui semble posé en équilibre. Un abri bienvenu quand on est surpris par la pluie. Ou la nuit. Quand les elfes et les korrigans viennent danser entre les arbres…

Allez, on arrête de rêver, et on regarde où on met les pieds ! Voilà, encore quelques pas dans les bogues de fruits du châtaignier. Ça y est, elle est là ! Pas bien grande. Gardée par une statue de la sainte. Sans sa tête. On lui en avait remis une il y a quelques années, mais elle est encore partie. Bah, tête ou pas tête, ça ne change rien à la légende ! Regardez bien. Là, au fond de l’eau claire et fraîche contenue par quatre petits murs usés. Oui, là, vous voyez ? Il y a un trou dans la pierre ! C’est là que les jeunes filles venaient pour savoir si elles allaient se marier dans l’année. Quelques incantations, et hop, elles jetaient une épingle à tête dans l’eau. Et si l’épingle tombait dans le trou, c’était fait, mariée dans l’année ! Allez, on essaye avec quelques centimes d’euros. La pièce tourne, tangue, semble voler. Pas si facile de bien viser.

Je me retourne et regarde le petit champ en pente raide qui s’étend devant moi. Comme il me paraissait grand dans le temps ! On se couchait en haut et on faisait des roulades jusqu’à la rivière en bas. Je me rappelle la tête qui tournait à l’arrivée. Les coudes parfois écorchés et les pantalons maculés. Pas grave, on va se rincer dans l’Ellé ! Je m’assieds sur un rocher. Les flots sont tumultueux. L’écume s’accumule dans les endroits protégés. Les arbres se rejoignent au-dessus du lit du cours d’eau. Un tunnel de verdure. Avec un bâton je fais des ronds dans l’eau. Je pêche une feuille morte. Salue une libellule et réponds à un oiseau. L’arbre creux est toujours là. Peut-être un peu plus couvert de lierre et de mousse qu’avant. Fidèle gardien des eaux agitées aux senteurs métalliques et au chant guilleret.

Je sais, c’est dur de s’arracher à cet endroit enchanté. D’autant plus qu’il faut tout remonter ! Hardi, on mobilise ses mollets et on y va ! L’arbre creux, la fontaine, le rocher équilibriste, la chapelle… Je la contourne par la gauche, passe sous une arche et stoppe à mon point de vue préféré : l’arche de pierre au premier plan, la chapelle au second et la petite statue de Sainte-Barbe qui veille dans sa niche granitée. Encore quelques marches, une sonnerie de cloche, quelques ajoncs à respirer. Il est l’heure de rentrer.

© Copyright Isabelle Roche – 2019 – Tous droits réservés

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